À travers l’exemple du Bottin Mondial, initiative privée née aux États-Unis pour recenser et connecter les acteurs économiques de la diaspora française, se révèle une réalité stratégique plus large : la nécessité de rendre visible un tissu dispersé, encore trop peu connu et rarement intégré aux dispositifs institutionnels. Cet outil, qui dépasse la simple mise en relation, montre qu’un recensement structuré et une cartographie fine des Français de l’étranger peuvent devenir des leviers d’intelligence économique, au service d’une vision globale et d’actions concrètes.
Dans la boîte à outils de l’intelligence économique et de la stratégie en général, deux instruments constituent des fondations méthodologiques incontournables : le recensement et la cartographie:
- Le recensement permet d’identifier de manière la plus exhaustive possible l’ensemble des acteurs, leurs compétences, leurs ressources et leurs positions sur le marché.
- La cartographie, quant à elle, organise ces données pour donner une vision systémique des réseaux, de leur densité, de leurs zones d’influence sans oublier leur dynamique.
Ensemble, ces outils fournissent aux décideurs publics et privés une lecture stratégique : non seulement qui sont les acteurs, mais aussi comment ils interagissent, où se situent les foyers de dynamisme, et quelles synergies ou opportunités potentielles restent inexploitées.

Pour plus d’outils d’intelligence économique: Christophe DESCHAMPS & Nicolas MOINET, La Boîte à Outils de l’Intelligence Économique, Dunod, 2011
Le Bottin Mondial, — créé par Aurélie Barrial, Française de l’Étranger à Atlanta (États-Unis) — s’inscrit naturellement dans cette logique. S’il répond d’abord à un besoin pratique de mise en relation entre acteurs économiques issus de la diaspora française, il répond également à un besoin qu’Aurélie a su identifier au fil de son parcours et de ses observations: celui de rendre visibles des initiatives dispersées, parfois ignorées, et souvent en quête d’exposition pour leur santé économique et la mise en lumière de leur contribution au rayonnement de la France.

Screenshot du Bottin Mondial, 20 sept. 2025
Mais à terme, si cet annuaire atteint une masse critique et substantielle — ce à quoi Aurélie s’attelle avec passion et dévotion — , il pourrait devenir un véritable instrument stratégique, permettant de recenser les Entrepreneurs Français à l’Étranger (EFE) – cette diplomatie économique invisible dans les stratégies nationales – mais aussi les différents services capables d’appuyer le développement du tissu économique français à l’international ainsi que les services d’accompagnement utiles à la vie quotidienne des Français établis à l’étranger.
En centralisant l’information et en rendant visible un tissu dispersé, il offre aux réseaux officiels français implantés à l’étranger une vision claire de la densité de la présence française et de son potentiel. L’étude de ce réseau ne faisant pas partie de leurs missions, un tel dispositif constituerait dès lors un outil externe bienvenu. Ce faisant, il contribue à faire émerger une conscience collective : une présence dotée d’un capital économique, culturel et relationnel dont la France ne tire aujourd’hui qu’une partie infime des bénéfices.
Il est important de souligner que certains membres de ces réseaux — Aurélie nomme la CCI d’Atlanta et celle des Émirats Arabes Unis — ont su dépasser la perception fréquente des initiatives diasporiques privées comme une forme de concurrence. Il convient de saluer l’esprit d’initiative de ces acteurs, qui ont entrepris une démarche proactive de prise de contact avec Aurélie et ont ainsi fait preuve d’un discernement et d’une ouverture au bénéfice du développement de la projection de notre pays à l’étranger.
Une meilleure connaissance de ce tissu économique français à l’étranger ouvrirait la voie à une analyse fine de ses spécificités et permettrait d’adapter ou d’optimiser les offres proposées par ces mêmes réseaux. Celles-ci, souvent conçues à partir d’une logique hexagonale, ne correspondent pas toujours aux besoins réels des entrepreneurs et indépendants de la diaspora dans le pays d’accueil. L’écart ainsi constaté entre l’offre institutionnelle et les attentes du terrain souligne la nécessité d’une approche renouvelée, capable d’intégrer la diversité des profils, des parcours et des contraintes locales de ces acteurs, comme en témoigne le commentaire suivant:

Ainsi le Bottin Mondial répond à une problématique qu’il rappelle de fait: le manque d’informations fiables sur les Français de l’étranger et sur le tissu économique tout comme les réseaux qu’ils constituent dans leur pays de résidence. Trop peu d’enquêtes existent, leurs panels étant souvent restreints et à la représentativité perfectible. Quant au registre consulaire, dépourvu de caractère obligatoire, il ne recense qu’environ un Français de l’étranger sur deux, sur une population estimée à 3,5 millions d’individus (fourchette haute). Aurélie en profite pour rappeler l’importance de l’inscription à ce registre et invite tout le monde à le faire (possible via service-public.fr). Ce déficit de données met en évidence la nécessité d’une augmentation de connaissances chiffrées et qualitatives sur la diaspora française. Car la donnée, même brute et non encore analysée, offre une première lecture essentielle : elle permet d’identifier la présence des acteurs, de qualifier leurs profils et, sur cette base, de construire des stratégies inclusives.
Il s’agit ici de la première pierre d’une vision globale et pilotée, apte à nourrir des actions locales concrètes et cohérentes.